La Secte K*** : Emile le Jars.

Publié le par MDV

L’inspecteur Vancouvert était fatigué. C’était une chose qui lui arrivait plutôt souvent depuis quelque temps : l’âge sans doute, le métier encore plus. Enfin, s’il avait choisi de se faire flic, ce n’était pas parce qu’il croyait aux horaires de fonctionnaire. Il retint un soupir puis, saisissant le gobelet de café infect que lui tendait un Christiansen solidaire, il dit :

- « Bon, reprenons. Nom, prénom, adresse, etc, etc … »

Le petit bonhomme tout maigre et tout desséché que le supérieur de Vancouver lui avait demandé d’interroger en premier, se fit encore plus raide sur sa chaise. Malgré cette maigreur, l’image d’un jars méprisant, archi-confit dans sa certitude d'être le nombril du monde et prêt à mordre quiconque serait assez naïf pour soutenir le contraire, s’imposa d’un seul coup à l’esprit de l’inspecteur.

- « C’est de l’inquisition ! »

Telle fut la réponse du Jars (par la suite, Vancouvert ne le désignerait plus que sous ce titre). Comme si l'outrance foncière de sa réplique ne lui suffisait pas, il il la beugla bien fort, avec force postillons déplaisants et, comme tous les policiers qui avaient déjà eu affaire au personnage, l’inspecteur en demeura bouche bée pendant dix bonnes secondes. Jamais il n’aurait imaginé qu’un si frêle gabarit pût abriter pareille voix de tonnerre. Renonçant au désir de faire craquer ses articulations, il tendit une main en un geste qu’il souhaitait apaisant.

- « Tout de suite les grands mots ! M’est avis que vous n’avez jamais eu affaire à l’Inquisition, monsieur … monsieur … ?

- Emile ! Vous savez bien que je m’appelle Emile ! Ça fait trois heures que je me tue à le répéter, à vous et à vos sbires ! Et puis, vous avez ma carte d’identité, non ? Qu’est-ce qu’il y a, sur ma CNI, hein, qu’est-ce qu’il y a ? E-M-I-L-E !

- Il y a même Emilien Emile,“ ajouta Christiansen, très aimable.

En dépit de son propre patronyme, qu’il tenait d’un grand-père authentiquement suédois émigré en France à la recherche d’un climat moins rigoureux, Christiansen était ce que la fin du XXème siècle, très portée sur les oxymorons et autres formules creuses, appelait un « homme de couleur. » Mais il eût été plus exact de dire que Martin Christiansen était le produit de son papa (grand, blond, pâle, placide) et de sa maman (petite, brune, noire et volcanique). Le résultat : un café au lait achevé, d’un naturel heureux et bon enfant, qui, au contraire d’un Vancouvert assez électrique et trop facile à énerver, surtout en fin de journée, était encore capable, après effectivement trois heures de prise de tête avec un client comme Emilien Emile, de conserver son calme et ses bonnes manières.

L’intervention de Christiansen incita le Jars à effectuer un quart de tour sur son siège afin de diriger ses batteries vers ce qu’il considérait, de toute évidence, comme une énième atteinte aux droits de son honorable personne.

- « Vous n’avez pas droit de tourner mon nom en ridicule ! Si c’est le seul biais que vous avez trouvé pour pratiquer les brutalités policières, sachez que je ne suis pas dupe ! Je ne vous laisserai pas faire ! … Et ça, hein ? qu’est-ce que ça veut dire, ce petit jeu ? … »

Le « petit jeu » désignait la mimique que venaient d'échanger Vancouvert et Christiansen pour se confier en silence : « Tu l’as déniché où, celui-là ? … - Pas ma faute, vieux : c’est le Chef qui m’a dit de te le refiler. »

(A suivre si vous le voulez bien.)

© Scriptos - 2006
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