La Charrette de l'Ankou.

Publié le par MDV

RM, notre mère, l'a entendue qui grinçait à sa fenêtre fin février et, depuis lors, elle a peur. Non pas cette appréhension normale qui est le lot de tout mortel lorsque la Mort se lève pour lui, non pas cette peur qui entoure le "comment" de la chose plus que son "pourquoi." Mais une peur blême et tentaculaire, une peur d'autant plus prégnante qu'elle ne parvient pas à l'exprimer par des mots.

Tous les principes religieux qu'on lui a inculqués, à elle qui naquit en 1924, tous ces sermons qu'elle a suivis d'une oreille, toutes ces hosties qu'elle a ingurgitées, toutes ces vêpres auquelles elle s'est rendue entre notre grand-mère et notre grand-tante, tous ces cimetières qu'elle visitait le dimanche et où notre oncle volait les petits anges papillonnant sur les tombes, rien de tout cela ne lui permet aujourd'hui d'envisager l'Au-delà ainsi qu'elle devrait le faire. Il y a même pire : obscurément, elle souhaite que l'Au-delà ne soit que néant et que, surtout, elle n'y retrouve aucun de ceux - pas même toi - qui l'aimèrent en ce bas-monde.

C'est la crainte de revoir tous ces visages aimés et redoutés, de percevoir à nouveau ces voix éteintes lui demandant ce qu'elle a fait - et tout ce qu'elle n'a pas fait - alors qu'elle restait seule face à ses responsablités, c'est cette crainte-là qui la tue.

Car si c'était vrai ? ...

Si l'Au-delà n'était pas un mythe ? ...

Pour exorciser ces morts qui, chaque jour, à l'image de la Treizième lame du Tarot Sacré, croissent en chair et en vigueur au fur et à mesure que, lentement, son corps l'abandonne et laisse glisser son esprit vers ces contrées auxquelles elle s'est refusée de penser pendant près de 83 ans, elle interpelle David, elle l'assaille de ses angoisses à elle. Certes, elle réclame de l'aide mais elle le fait avec une telle fureur ...

Au téléphone, tous les soirs, je sentais bien qu'elle m'en veut d'être une fois de plus "la Survivante", celle qui "a la foi" (dit-elle avec rancune car enfin, est-ce normal, je vous le demande, qu'une hérétique comme moi ait reçu ce que la religion catholique définit comme une grâce divine ?), celle qui se refuse jusqu'au bout à donner un pardon de convention qui ne vaudrait rien - celle qui ne peut plus le faire ...

Lassée, alors que je l'appelais encore, je lui ai parlé de ce que les protestants, prétend-on, nous envie : la confession. J'ai même demandé à un ami prêtre de passer la voir pour essayer de l'apaiser - un peu. Et RM de me répondre :

- "Une confession, moi ? Pourquoi ? Je n'ai pas de péchés et je n'ai jamais fait de mal ! ..."

Un soir du mois dernier, forcément, ça a craqué. Je tenais depuis quinze jours mais là, franchement, devant pareille suffisance ! ...

- "Ne parlons pas de péchés," lui ai-je répondu. "Tu sais que, pour moi, le terme n'a aucun sens et n'est qu'une survivance de l'esprit de culpabilité judaïque. Parlons plutôt d'erreurs puisque nous en faisons tous. Parfois sans le vouloir, c'est vrai. Mais si tu crois que Dieu existe et si tu penses sincèrement pouvoir t'en tirer en lui soutenant mordicus que, alors que tu voyais mon père martyriser mon frère, tu n'en avais pas conscience, permets-moi de te dire que, même pour une ancienne catholique pratiquante, tu es sacrément gonflée !!!! Quant au reste de ce que tu as vu et laissé faire sans tenter de t'y opposer ''alors que tu le pouvais'', je n'en parlerai pas aujourd'hui. Tu vas vers la fin : je ne suis pas de celles qui s'acharnent. D'ailleurs, ça ne servirait à rien. Mais quand P* viendra pour ta confession, fais un effort pour dire enfin la vérité. Sinon, je crains fort que, après sa mort, ton esprit ne puisse accéder à un niveau supérieur, quel que soit celui-ci. Ce n'est pas pour rien que les Anciens Egyptiens affirmaient qu'il fallait passer sa vie à préparer sa Mort. Toi, tu n'y a jamais songé, tu as toujours cru que la Mort t'oublierait. La Mort n'oublie personne et devant elle, nous nous retrouvons aussi nus qu'à notre naissance. Nos ancêtres celtes le savaient aussi et pour eux, la Mort n'était que le Crépuscule du Matin, celui qui leur ouvrait les portes d'une vie nouvelle. Eux aussi, tu les as reniés."

Résultat : elle avait conclu la conversation en m'assurant, sur un ton de victime, qu'elle allait prier pour moi, la fille indigne ... Comment quelqu'un qui espère voir l'Au-delà se résoudre en néant peut-il prier ?????

Il faut dire que, lorsqu'elle évoque les prières qu'elle fait, elle ne parle que de ce que celles-ci peuvent lui "rapporter" : un boursicoteur effréné n'utiliserait pas un autre langage.

Je suis si fatiguée de cette comédie - car cette femme, par son monstrueux égoïsme, sa longue pratique de la manipulation et son refus d'assumer toutes responsabilités, fût-ce envers elle-même, serait capable de mettre sur les genoux un bataillon d'anges gardiens - que j'en viens à aspirer au jour où l'Ankou descendera de sa charrette pour aider notre mère à y grimper.

Ce que j'écris là peut paraître horrible mais je n'en ai pas honte. Cela fait maintenant 46 ans que je "supporte" la psychopompe qu'est RM. Tant que j'ai gardé sur elle quelques illusions, ça allait. Vaille que vaille mais j'avançais toujours. Maintenant, ces illusions ultimes se sont dissipées car la Vérité - qu'elle nous avait cachée sur notre petit frère, à toi comme à moi - l'a rattrapée.

Alors, quand RM mourra, sans doute mon "Moi" en souffrira-t-il un peu mais je suis presque certaine que, pour toutes les composantes de ma personnalité, ce sera surtout une libération.

Image IPB

L'une des nombreuses incarnations de pierre de l'Ankou, appelé aussi '"oberour ar maro", le Travailleur de la Mort.

Publié dans In Danielis Memoriam.

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